« En grandissant, j'ai ressenti une nécessité viscérale d’écrire des mots plutôt que de les dire. L’écriture est devenue un moyen pour moi de m’exprimer différemment, surtout au sein de ma famille. Elle m’a permis de trouver ma voix, de m’affirmer et de partager mes émotions.
Écrire un film est, à mes yeux, une expérience bien plus puissante que de simplement transmettre les mots de quelqu’un d’autre en tant que réalisateur ou réalisatrice...
Quand on porte en soi une nécessité profonde d’exprimer quelque chose, on trouve l’énergie et la force d’aller jusqu’au bout. »
Juliette Henry
Juliette Henry, 27 ans, vient de Lille. Le cinéma n’était pas son premier choix lorsqu’elle a débuté son parcours universitaire. « J'ai d'abord poursuivi des études en sociologie et anthropologie, suivies d'un master en géographie », nous explique-t-elle. Cependant, pendant ces cinq années d’études, Juliette réalise plusieurs projets cinématographiques.
En 2022, durant son stage de fin d’études, un événement important marque sa vie. L’appel du 7e art se fait ressentir et elle ne réfléchit pas très longtemps avant de se réorienter. « J'ai pris conscience de ma passion pour l'écriture et la réalisation de films, un désir qui m'anime chaque jour et qui, au fil du temps, n'a cessé de se renforcer ». « J'ai choisi de me lancer seule dans cette aventure, en faisant le pari de ne pas suivre une formation académique en cinéma, mais de faire "l'école de la rue". » Elle ajoute, « j'ai eu la chance de rencontrer des personnes qui m'ont donné une chance et ont cru en ma détermination ». Juliette apprend chaque métier au fur et à mesure de ses réalisations et des tournages sur lesquels elle travaille bénévolement.
Comme de nombreuses personnes qui souhaitent travailler par amour, elle a dû se trouver un boulot : « réceptionniste dans une auberge de jeunesse », précise-t-elle. Moins par choix que pour des raisons alimentaires, ce poste lui permet tout de même de dégager du temps. Des moments qu’elle consacre à des tâches plus réjouissantes comme l’écriture et l’élaboration de films. « En 2022-2023, j’ai ainsi réalisé deux courts-métrages : L'Art du Ring et 261. Par la suite, j'ai eu la chance de rejoindre l’équipe de la série ENJOY en tant que troisième assistante réalisatrice. Réalisée par Lionel META pour France TV et produite par le collectif 64, cette série m’a offert l’opportunité de suivre chaque étape de la production, de la préparation au tournage, et d’en apprendre énormément tout au long du processus ».
Son objectif, elle le connaît : devenir réalisatrice pour écrire et tourner des productions traitant de l'émancipation des femmes. Entre 2022 et 2024, elle sort six films, tous abordant directement ou indirectement cette thématique.
Pour le premier, Les Aveux, le synopsis parle de lui-même : « Tôt le matin, après une longue nuit de beuverie, Elie informe Nathan qu'elle sait déjà ce qui s'est passé et tente de lui expliquer la gravité de ses actes. Cependant, Nathan refuse de l'écouter. »
Le second est une longue conversation entre deux anciens amants, Emma et Axel. Chacun essaie de convaincre de sa propre vérité, submergé par ses émotions. Qui va payer la facture de l’Addition d’une Nuit ?
Le troisième, Art du ring , suit l’histoire de Kika, une boxeuse qui doit affronter des adversaires redoutables.
Le suivant est 261, puis vient ensuite Conversation avec Frida. Ce court-métrage explore les conséquences des pressions sociales sur la beauté et la confiance en soi. Toujours dans une démarche féministe, il met en lumière cette dynamique à travers l’identification à la figure iconique de Frida Kahlo, symbole de résistance et d'affirmation de soi.
Enfin, Lettre à Karen : « Je suis partie à Mexico à la rencontre d'un collectif de femmes qui utilisent le travail comme un acte de résistance. C'est grâce à l'accompagnement et au soutien d'AMAP Production que j'ai pu m'envoler dans cette région du Mexique pour réaliser l'épisode pilote d'une série documentaire sur les victoires des femmes en Amérique Latine. »
261 une ode à Kathrine Switzer

Synopsis
En 1967, Gia, âgée de 7 ans, entend aux informations qu'une jeune femme a défié les conventions sociales en courant le marathon de Boston sans autorisation. La réaction violente de son père et le silence de sa mère, poussent Gia à percer le mystère de cette «dame du marathon »
« L'inspiration pour ce projet provient de plusieurs sources. Tout d'abord, l'histoire de Kathrine Switzer, qui incarne la thématique de l'émancipation des femmes. En ce qui concerne l'écriture du scénario, j'ai été influencée par le film mexicain Las Perras du réalisateur Guillermo Ríos, notamment pour sa façon de représenter la perspective de l’enfant et sa compréhension de la vie. La série Malcolm a également été une référence, notamment pour son utilisation du quatrième mur. Enfin, la chanson What Was I Made For de Billie Eilish a joué un rôle clé dans mon processus d'écriture. Sa sérénité, sa douceur et ses thèmes d'émancipation ont profondément influencé le développement de l’histoire ».
Ici encore, son engagement crève l’écran. Pour Juliette, la figure de Kathrine Switzer est un moyen de réfléchir aux enjeux sociétaux. Petite piqûre de rappel : cette Américaine d’origine allemande est entrée dans l’histoire malgré elle. Violemment bousculée par un arbitre lors du marathon de Boston, l’image fait rapidement le tour du monde. En 1967, Kathrine Switzer était la première femme inscrite à cette course mythique, ce qui, à l’époque, choquait profondément, car on considérait que les femmes n’étaient pas capables de supporter une telle épreuve. Cette idée était alimentée par des superstitions et des stéréotypes sexistes profondément ancrés. Le numéro "261" inscrit sur son brassard devient alors un emblème du courage de toutes les femmes face à l’oppression. À travers les yeux de Gia, une jeune fille qui suit cet événement à la télévision, Juliette fait passer un message fort : celui de l’absurdité des discriminations fondées sur le sexe. Le geste de Switzer pousse Gia à se questionner sur les violences auxquelles elle fait face dans sa propre cour de récréation.
Le film expose aussi la manière dont les grands esquivent parfois les questions des petits, nuisant ainsi à leur compréhension de certaines réalités. À travers cela, Juliette soulève une problématique essentielle : celle de la responsabilité des adultes dans la formation de la pensée des enfants. L’expression « Tu comprendras quand tu seras plus grande » illustre parfaitement la stratégie d’évasion employée par les générations précédentes pour éviter de confronter des vérités dérangeantes. La quête de sens de Gia devient un chemin vers l’émancipation. « En la voyant réfléchir aux inégalités de genre, la mère comprend que, contrairement à elle, sa fille pourrait avoir l’opportunité de sortir du schéma de l’inégalité homme-femme dans lequel elle-même est enfermée depuis son enfance ». Ce court-métrage montre comment la créativité des enfants, nourrie par leurs interrogations, peut offrir des réponses à un monde parfois marqué par le silence et les non-dits. L’œuvre rappelle que même les plus jeunes ont un rôle à jouer dans la lutte pour l’égalité et la justice.
« De nombreux spectateurs m’ont exprimé leur désir de voir évoluer Gia et sa mère. Je travaille donc actuellement sur le développement de l’histoire de cette petite fille et de cette jeune femme à travers les époques, tout en mettant en lumière les enjeux d’émancipation des femmes et leurs victoires en France », nous a annoncé la réalisatrice.